2010, une année rafraîchissante pour la BD

 "Asterios Polyp", de David Mazzucchelli.

Burns, Clowes, Mazzucchelli : les Américains ont dominé l’année pendant qu’une poignée de filles rafraîchissaient la BD française.

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 Joe Sacco a ouvert 2010 en beauté avec son passionnant reportage Gaza 1956 et a vite été suivi par une poignée d'auteurs à l'inventivité sans limite. Daniel Clowes a été omniprésent, avec l'inédit Wilson, Le Monde de Lloyd Llewellyn, luxueuse édition de ses oeuvres de jeunesse, et l'époustouflant Rayon de la mort.
Charles Burns, qui n'avait rien publié de neuf depuis Black Hole, a poursuivi son exploration de l'angoisse avec l'énigmatique ToXic. David Mazzucchelli a révélé son grand oeuvre, Asterios Polyp,Body World. d'une intelligence graphique et narrative rare. Dash Shaw, toujours ambitieux, s'est fait psychédélique dans
A côté de ces poids lourds, quelques auteurs ont démontré qu'ils ne manquaient pas non plus de personnalité et d'inspiration, comme David Small (Sutures), James Sturm (Le Jour du marché),(Le Chasseur) mais aussi Marc Bell, John Pham, Gabrielle Bell, Rich Tommaso... Darwyn Cooke
Une BD francophone débridée
Face à cette déferlante US de haute volée, des auteurs français sont sortis du lot. Avec Quai d'Orsay et leur vision mordante de la diplomatie, Christophe Blain et Abel Lanzac ont obtenu un succès public et critique mérité. Avec Coney Island Baby et Girls Don't Cry, Nine Antico s'impose comme un talent majeur.
D'autres jeunes femmes ont contribué par leur imagination débridée à rafraîchir la BD francophone : Lucie Durbiano (Lo), Aude Picault (Comtesse), Agnès Maupré (Milady de Winter) ou encore Nadja (L'Homme de mes rêves).
A noter également, J'ai pas tué de Gaulle de Bruno Heitz, L de Benoît Jacques, Feuille de chou de Mathieu Sapin (aussi coauteur de MKM avec Lewis Trondheim et de Paulette Comète avec Christian Rossi), et deux albums qui n'ont d'enfantin que l'apparence, Bestioles d'Ohm et Hubert et Le Fils de Rembrandt de Robin.
Des frissons d'horreur et de plaisir
Du côté des mangas, l'année a ressemblé à un passionnant cours d'histoire : sur le Japon des lendemains de la Seconde Guerre mondiale avec Ashita No Joe d'Asao Takamori et Tetsuya Chiba, La Fille du bureau de tabac de Masahiko Matsumoto, et Elégie en rouge de Hayashi Seiichi ; et sur le Japon des shoguns avec la série Le Pavillon des hommes de Fumi Yoshinaga, l'intégrale de Sabu et Ichi de Shôtarô Ishinomori ou encore Kamui Den de Sanpei Shirato. Brillante relecture d'Astro d'Osamu Tezuka, la série Pluto de Naoki Urasawa a tenu en haleine et les mangas eroguro de Suehiro Maruo, L'Ile panorama et La Chenille, ont fait frissonner d'horreur et de plaisir.
Ailleurs, on a voyagé en Chine impériale avec le légendaire Juge Bao (Patrick Marty et Chongrui Nie), dans l'Angleterre steampunk (La Ligue des gentlemen extraordinaires - Century: 1910 d'Alan Moore et Kevin O'Neill, Grandville de Bryan Talbot), dans la Sicile des années 1980 avec l'Autrichienne Ulli Lust (Trop n'est pas assez), entre l'Italie et la Norvège avec Manuele Fior (Cinq mille kilomètres par seconde), en Grèce chez les logiciens de Logicomix et dans le Travelling Square District de la ville nouvelle du Belge Greg Shaw...
En 2010, la bande dessinée a été aussi célébrée in vivo. Le jury du Festival d'Angoulême a récompensé Riad Sattouf (Pascal Brutal - Plus fort que les forts, fauve d'or du meilleur album). L'Association a fêté ses vingt ans et Moebius a été honoré à la Fondation Cartier, avec la magnifique exposition Transe Forme. Une autre expo, à la Cité de l'architecture et du patrimoine à Paris a souligné les liens entre BD et architecture, et au musée de la BD à Angoulême, puis à la Bibliothèque Forney à Paris, on a pu admirer Cent pour cent, où cent planches "classiques" ont été confrontées à leur réinterprétation par cent auteurs contemporains.
L'année a été endeuillée par le décès de deux géants : Jacques Martin, un des derniers pères de la bande dessinée franco-belge, créateur d'Alix et de Lefranc, et, aux Etats-Unis, Harvey Pekar, auteur d'American Splendor, à qui les auteurs américains incontournables de l'année doivent tant.
Le top 5
1. David Mazzucchelli Asterios Polyp
L’odyssée désespérée d’un brillant intellectuel qui fait le point sur sa vie : un roman graphique à l’intelligence narrative exceptionnelle.


2. Nine Antico Coney Island Baby/ Girls Don't Cry
La féminité et la séduction via l’oeil malicieux et le trait subtil de Nine Antico. Deux livres épatants.




3. Daniel Clowes Wilson
Clowes au sommet de son art pour cette destinée pathétique et drôle d’un misanthrope, brillamment mise en scène.




4. Christophe Blain Quai d'Orsay
Les tribulations d’un ministre des Affaires étrangères ressemblant étrangement à de Villepin. Un récit lucide et mordant sur le monde de la diplomatie.



5. Charles Burns ToXic
Une sublime exploration des bas-fonds de l’angoisse avec l’histoire énigmatique d’un jeune accidenté entre rêves sous sédatifs et réalité.


Anne-Claire Norot

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