Sélection des meilleures BD adultes de 2013


LE GUIDE DU MAUVAIS PÈRE, DE GUY DELISLE
Le plus célèbre auteur québécois de bande dessinée raconte ses bévues et ses maladresses de papa. Il se comporte avec ses enfants comme avec ses amis, usant et abusant du second degré, alors que les enfants prennent naturellement tout au premier degré, les émotions dans le tapis. Ce qui entraîne des discussions cocasses et des situations parfois truculentes.
«Tout est presque 100% vrai», avait assuré Guy Delisle, comme l'anecdote de la petite souris, qui a «oublié» de passer chercher la dent de Louis sous son oreiller deux nuits de suite.
On aime la mauvaise foi du père, et sa façon de jongler avec la vérité lorsqu'il est acculé par l'intelligence et la répartie de ses rejetons.
Guy Delisle étant un professionnel de l'animation, il maîtrise à la perfection l'art du gag efficace, misant sur la percussion des dialogues et le minimalisme du dessin pour le rendre le plus efficace possible et ne pas laisser l'œil se perdre dans les détails.
Le deuxième tome arrive dans quelques semaines!
LAST MAN (TOMES 1,2 ET 3), DE BALAK, MICKAËL SANLAVILLE ET BASTIEN VIVÈS
Le grand tournoi annuel d'arts martiaux et de techniques ancestrales se prépare dans la Vallée des rois. Parmi les combattants, Adrian, un petit bonhomme tout mignon de 8 ans qui n'a aucune chance de passer le premier tour se retrouve à faire équipe avec Richard Aldana, un beau ténébreux baraqué macho débarqué de nulle part.
La mère d'Adrian, une jolie boulangère discrète et très attachée à l'éducation de son fils, donne son aval, mais du bout des lèvres. Les hostilités peuvent commencer. Ça va castagner!
Avec Last Man, Bastien Vivès et ses potes se sont lancés dans une histoire déjantée mixant leur riche expérience de la bande dessinée européenne et leur passion des jeux vidéos à la folie créatrice et l'énergie de l'animation asiatique. Ou quelque chose du genre, parce qu'en gros, ils écrivent une histoire «flyée» à six mains, se laissant aller de toute évidence à leurs délires de gars, à grand renfort d'allusions sexistes d'adolescents attardés et de personnages obsédés et débiles au vocabulaire assez limité.
Leur objectif: faire 20 pages format manga par mois et trois albums de 200 pages par année. Pour l'instant, le pari réussi, avec les félicitations du jury.
C'est la bande dessinée la plus divertissante de l'année!
NON-AVENTURES, DE JIMMY BEAULIEU
L'auteur de bande dessinée Jimmy Beaulieu raconte sa vie, ou des parcelles de sa vie, et parvient à nous captiver comme s'il s'agissait d'une série d'aventures, de vraies aventures.
Il y a de l'introspection existentielle, des réflexions philosophiques, des prises de position, mais il y a surtout de la simplicité, de l'authenticité et de la sincérité qui stimulent nos émotions et entretiennent notre concentration.
Il y a aussi un fil conducteur, peut-être même intentionnel, c'est sa passion - son obsession? - pour les femmes, leur corps, leur beauté, leur sensualité. Non-aventures, si vous regardez bien, est aussi un recueil de dessin de femmes, que l'auteur sublime à la pointe de son crayon.
Non-aventures est l'intégrale des oeuvres autobiographiques de Jimmy Beaulieu, qui avait cofondé puis animé Mécanique générale pendant près d'une décennie (l'histoire est d'ailleurs aussi dans le bouquin).
Elle reprend Quelques pelures, Le Moral des troupes et Le Roi cafard, et intègre une soixantaine de pages de nouveau matériel pour arriver à une brique de 350 pages qui se lit d'une traite. C'est un bijou du genre!
LES PIÈCES DÉTACHÉES, DE VINCENT GIARD ET DAVID TURGEON
Laura a été élevée par sa mère, en raison d'un père vivant, mais absent. Un jour, alors qu'elle chante devant ses camarades lors du spectacle de son collège, elle l'aperçoit parmi les spectateurs. Troublée, elle décide d'aller sonner chez lui.
Les pièces détachées est une bande dessinée sur les retrouvailles d'une adolescente, artiste et romantique, et de son géniteur, un romancier fébrile qui «vit dans sa tête» et qui n'a jamais fini un bouquin.
C'est aussi doux que violent, aussi émouvant qu'agaçant, aussi brut que subtil, mais c'est assurément réussi.
LES ANNÉES CROC, DE JEAN-DOMINIQUE LEDUC ET MICHEL VIAU
«Entre 1979 et 1995, tout ce que le Québec comptait de rigolos a fait un crochet dans ce repaire de brigands qu'était Croc. La France avait ses Hara-Kiri et Charlie Hebdo, les États-Unis leurs Mad et National Lampoon. Nous, avec Croc, on avait enfin notre propre bateau de pirates», écrit Louise Richer, la directrice de l'École nationale de l'humour de Montréal, en préface de ce bouquin rétrospectif génial qui résume la créativité et la folie de cette revue délirante qui a marqué son époque.
Les Années Croc vont faire pétiller les yeux de ceux qui lisaient le «magazine qu'on riait» et halluciner tous les autres qui, comme moi, n'en reviendront pas de ce concentré de folie réjouissante et d'humour potache.
Les auteurs de bande dessinée y avaient la part belle et s'y exprimaient sans limites, pas même le grotesque. Certainement pas le grotesque! Des personnages célèbres y ont fait leurs débuts, comme Red Ketchup et Michel Risque, deux héros créés par Pierre Fournier et Réal Godbout, ou encore Jérôme Bigras, de Jean-Paul Eid.
Le caricaturiste Garnotte et les bédéistes Jacques Goldstyn et Michel Rabagliati y a ont également fourbi leurs armes.
Est-ce que Croc serait encore possible aujourd'hui? Je ne crois pas. Trop «too much». Et c'est ce qui fait des Années croc une anthologie - et du même coup un ouvrage sur un pan de l'histoire de la bande dessinée québécoise -, a avoir dans sa bédéthèque, ou sur sa table de salon. Pour se souvenir qu'un truc comme ça a existé un jour, et continuer d'en rigoler, même si «c'est pas parce qu'on rit que c'est drôle». 
Papier, orchestré par Yannick Lejeune et Lewis Trondheim (Delcourt)

«Papier» est une nouvelle revue trimestrielle, une revue-album publiée dans la collection Shampoing des éditions Delcourt, où de jeunes auteurs et des bédéistes accomplis sont invités à s'exprimer sur un thème imposé. Dans le premier numéro, Bastien Vivès, Lewis Trondheim, Dylan Meconis, Jean Bourguignon, Jennifer L. Meyer, Elosterv, Gregory Panaccione, Jérôme Anfré, Florence Dupré La Tour et Guy Delisle ont dû trouver leur inspiration d'un «animal mort». Pas évident a priori, mais bigrement cool à l'arrivée, même si le résultat est forcément inégal.
Bastien Vives ouvre le bal avec une adaptation du «Livre de la jungle». La finesse du trait et l'encrage sont à tomber par terre. Trondheim se moque de l'ère de l'immédiateté 2.0 en racontant l'histoire d'un touriste qui va au cimetière du Père-Lachaise à Paris dans le seul et unique but de faire un selfie devant la tombe d'une vedette éphémère, et morte en plus. Jean Bourguignon joue avec le feu avec son personnage de pédophile présumé. Grégory Panaccione propose une parodie bien marrante de polar de série Z autour d'un tueur en série d'animaux, tandis que Florence Dupré La Tour offre un récit autobiographique émouvant sur la mort de sa chienne.
Associant le monsieur numérique de Delcourt et des auteurs qui se sont fait connaître sur internet, «Papier» se veut entre autres un pied de nez aux prédicateurs du tout numérique, comme si Trondheim, connu pour son mordant et son manque de diplomatie lançait un petit message du genre : «on est encore là, et on vous emmerde!»
À noter que dans l'un des prochains numéros de la revue, on devrait notamment retrouver Jimmy Beaulieu.
«La Revue dessinée», orchestrée par Franck Bourgeron et Sylvain Ricard


J'applaudis des deux mains cette nouvelle revue d'information produite par des auteurs de bande dessinée, parce qu'elle vient à la fois combler un vide, celui du BD Reportage de presse, parce qu'elle a une vision susceptible de lui garantir la pérennité, en offrant tant une version papier vendue en kiosque et en librairie qu'une version numérique disponible sur iPad (3,99 $), et parce que c'est une revue de qualité. Je crois profondément à la bande dessinée de reportage, qui est capable de rejoindre le très grand public en livrant des informations documentaires sur des sujets sur lesquels on a peu l'habitude de s'attarder. 
Dans le premier numéro, j'ai particulièrement aimé le reportage «Belge Congo» de Jean-Philippe Stassen sur le quartier de Matonge, devenu le «point de rencontre de tous les immigrés africains» à Bruxelles, et surtout celui de Marion Montaigne, sur le zoo de Paris, «La ménagerie du Jardin des Plantes». Hyper instructif et hyper drôle.
Il faut espérer que «La Revue dessinée» donne des idées aux médias en général. J'en profite tout de même pour souligner que la revue saisonnière «XXI», consacrée aux documentaires écrits, publie un BD reportage de haut vol à la fin de chaque numéro. De même que la revue québécoise «Nouveau Projet» a intégré la bande dessinée à son sommaire dès son lancement.

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