Le plus célèbre auteur
québécois de bande dessinée raconte ses bévues et ses maladresses de papa. Il
se comporte avec ses enfants comme avec ses amis, usant et abusant du second
degré, alors que les enfants prennent naturellement tout au premier degré, les
émotions dans le tapis. Ce qui entraîne des discussions cocasses et des
situations parfois truculentes.
«Tout est presque 100% vrai»,
avait assuré Guy Delisle, comme l'anecdote de la petite souris, qui a «oublié»
de passer chercher la dent de Louis sous son oreiller deux nuits de suite.
On aime la mauvaise foi du
père, et sa façon de jongler avec la vérité lorsqu'il est acculé par
l'intelligence et la répartie de ses rejetons.
Guy Delisle étant un
professionnel de l'animation, il maîtrise à la perfection l'art du gag
efficace, misant sur la percussion des dialogues et le minimalisme du dessin
pour le rendre le plus efficace possible et ne pas laisser l'œil se perdre dans
les détails.
Le deuxième tome arrive dans
quelques semaines!
LAST MAN (TOMES 1,2 ET 3), DE
BALAK, MICKAËL SANLAVILLE ET BASTIEN VIVÈS
Le grand tournoi annuel
d'arts martiaux et de techniques ancestrales se prépare dans la Vallée des
rois. Parmi les combattants, Adrian, un petit bonhomme tout mignon de 8 ans qui
n'a aucune chance de passer le premier tour se retrouve à faire équipe avec
Richard Aldana, un beau ténébreux baraqué macho débarqué de nulle part.
La mère d'Adrian, une jolie
boulangère discrète et très attachée à l'éducation de son fils, donne son aval,
mais du bout des lèvres. Les hostilités peuvent commencer. Ça va castagner!
Avec Last Man, Bastien Vivès
et ses potes se sont lancés dans une histoire déjantée mixant leur riche
expérience de la bande dessinée européenne et leur passion des jeux vidéos à la
folie créatrice et l'énergie de l'animation asiatique. Ou quelque chose du
genre, parce qu'en gros, ils écrivent une histoire «flyée» à six mains, se
laissant aller de toute évidence à leurs délires de gars, à grand renfort
d'allusions sexistes d'adolescents attardés et de personnages obsédés et
débiles au vocabulaire assez limité.
Leur objectif: faire 20 pages
format manga par mois et trois albums de 200 pages par année. Pour l'instant,
le pari réussi, avec les félicitations du jury.
C'est la bande dessinée la
plus divertissante de l'année!
NON-AVENTURES, DE JIMMY
BEAULIEU
L'auteur de bande dessinée
Jimmy Beaulieu raconte sa vie, ou des parcelles de sa vie, et parvient à nous
captiver comme s'il s'agissait d'une série d'aventures, de vraies aventures.
Il y a de l'introspection
existentielle, des réflexions philosophiques, des prises de position, mais il y
a surtout de la simplicité, de l'authenticité et de la sincérité qui stimulent
nos émotions et entretiennent notre concentration.
Il y a aussi un fil
conducteur, peut-être même intentionnel, c'est sa passion - son obsession? -
pour les femmes, leur corps, leur beauté, leur sensualité. Non-aventures, si
vous regardez bien, est aussi un recueil de dessin de femmes, que l'auteur
sublime à la pointe de son crayon.
Non-aventures est l'intégrale
des oeuvres autobiographiques de Jimmy Beaulieu, qui avait cofondé puis animé
Mécanique générale pendant près d'une décennie (l'histoire est d'ailleurs aussi
dans le bouquin).
Elle reprend Quelques
pelures, Le Moral des troupes et Le Roi cafard, et intègre une soixantaine de
pages de nouveau matériel pour arriver à une brique de 350 pages qui se lit
d'une traite. C'est un bijou du genre!
LES PIÈCES DÉTACHÉES, DE
VINCENT GIARD ET DAVID TURGEON
Laura a été élevée par sa
mère, en raison d'un père vivant, mais absent. Un jour, alors qu'elle chante
devant ses camarades lors du spectacle de son collège, elle l'aperçoit parmi
les spectateurs. Troublée, elle décide d'aller sonner chez lui.
Les pièces détachées est une
bande dessinée sur les retrouvailles d'une adolescente, artiste et romantique,
et de son géniteur, un romancier fébrile qui «vit dans sa tête» et qui n'a
jamais fini un bouquin.
C'est aussi doux que violent,
aussi émouvant qu'agaçant, aussi brut que subtil, mais c'est assurément réussi.
LES ANNÉES CROC, DE
JEAN-DOMINIQUE LEDUC ET MICHEL VIAU
«Entre 1979 et 1995, tout ce que le
Québec comptait de rigolos a fait un crochet dans ce repaire de brigands
qu'était Croc. La France avait ses Hara-Kiri et Charlie Hebdo, les États-Unis
leurs Mad et National Lampoon. Nous, avec Croc, on avait enfin notre propre
bateau de pirates», écrit Louise Richer, la directrice de l'École nationale de
l'humour de Montréal, en préface de ce bouquin rétrospectif génial qui résume
la créativité et la folie de cette revue délirante qui a marqué son époque.
Les Années Croc vont faire
pétiller les yeux de ceux qui lisaient le «magazine qu'on riait» et halluciner
tous les autres qui, comme moi, n'en reviendront pas de ce concentré de folie
réjouissante et d'humour potache.
Les auteurs de bande dessinée
y avaient la part belle et s'y exprimaient sans limites, pas même le grotesque.
Certainement pas le grotesque! Des personnages célèbres y ont fait leurs
débuts, comme Red Ketchup et Michel Risque, deux héros créés par Pierre
Fournier et Réal Godbout, ou encore Jérôme Bigras, de Jean-Paul Eid.
Le caricaturiste Garnotte et
les bédéistes Jacques Goldstyn et Michel Rabagliati y a ont également fourbi
leurs armes.
Est-ce que Croc serait encore
possible aujourd'hui? Je ne crois pas. Trop «too much». Et c'est ce qui fait
des Années croc une anthologie - et du même coup un ouvrage sur un pan de
l'histoire de la bande dessinée québécoise -, a avoir dans sa bédéthèque, ou
sur sa table de salon. Pour se souvenir qu'un truc comme ça a existé un jour,
et continuer d'en rigoler, même si «c'est pas parce qu'on rit que c'est drôle».
Papier, orchestré par Yannick
Lejeune et Lewis Trondheim (Delcourt)
«Papier» est une nouvelle revue
trimestrielle, une revue-album publiée dans la collection Shampoing des
éditions Delcourt, où de jeunes auteurs et des bédéistes accomplis sont invités
à s'exprimer sur un thème imposé. Dans le premier numéro, Bastien Vivès, Lewis
Trondheim, Dylan Meconis, Jean Bourguignon, Jennifer L. Meyer, Elosterv,
Gregory Panaccione, Jérôme Anfré, Florence Dupré La Tour et Guy Delisle ont dû
trouver leur inspiration d'un «animal mort». Pas évident a priori, mais
bigrement cool à l'arrivée, même si le résultat est forcément inégal.
Bastien
Vives ouvre le bal avec une adaptation du «Livre de la jungle». La finesse du
trait et l'encrage sont à tomber par terre. Trondheim se moque de l'ère de
l'immédiateté 2.0 en racontant l'histoire d'un touriste qui va au cimetière du
Père-Lachaise à Paris dans le seul et unique but de faire un selfie devant la
tombe d'une vedette éphémère, et morte en plus. Jean Bourguignon joue avec le
feu avec son personnage de pédophile présumé. Grégory Panaccione propose une
parodie bien marrante de polar de série Z autour d'un tueur en série d'animaux,
tandis que Florence Dupré La Tour offre un récit autobiographique émouvant sur
la mort de sa chienne.
Associant le monsieur numérique de Delcourt et des
auteurs qui se sont fait connaître sur internet, «Papier» se veut entre autres
un pied de nez aux prédicateurs du tout numérique, comme si Trondheim, connu
pour son mordant et son manque de diplomatie lançait un petit message du genre
: «on est encore là, et on vous emmerde!»
À noter que dans l'un des prochains
numéros de la revue, on devrait notamment retrouver Jimmy Beaulieu.
«La Revue dessinée», orchestrée
par Franck Bourgeron et Sylvain Ricard
J'applaudis des deux mains cette
nouvelle revue d'information produite par des auteurs de bande dessinée, parce
qu'elle vient à la fois combler un vide, celui du BD Reportage de presse, parce
qu'elle a une vision susceptible de lui garantir la pérennité, en offrant tant
une version papier vendue en kiosque et en librairie qu'une version numérique
disponible sur iPad (3,99 $), et parce que c'est une revue de qualité. Je crois
profondément à la bande dessinée de reportage, qui est capable de rejoindre le
très grand public en livrant des informations documentaires sur des sujets sur
lesquels on a peu l'habitude de s'attarder.
Dans le premier numéro, j'ai
particulièrement aimé le reportage «Belge Congo» de Jean-Philippe Stassen sur
le quartier de Matonge, devenu le «point de rencontre de tous les immigrés
africains» à Bruxelles, et surtout celui de Marion Montaigne, sur le zoo de
Paris, «La ménagerie du Jardin des Plantes». Hyper instructif et hyper drôle.
Il
faut espérer que «La Revue dessinée» donne des idées aux médias en général.
J'en profite tout de même pour souligner que la revue saisonnière «XXI»,
consacrée aux documentaires écrits, publie un BD reportage de haut vol à la fin
de chaque numéro. De même que la revue québécoise «Nouveau Projet» a intégré la
bande dessinée à son sommaire dès son lancement.
Lien sur l'article original en cliquant ici.
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